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PORTRAIT - Kerthis

Dernière mise à jour : 28 oct. 2019

Chignon haut, montures dorées, piercing au septum, anneau à l'oreille, complet survêt, parapluie néon, ambiance monochrome, bord de Garonne et fièvre noire dans ruelles humides, c'est le clip 4H du rappeur Kerthis, entre fragilité et flow énervé, il bouscule et surprend avec les sept tracks de son album La Messe du Hurleur sorti en août 2018.


© Kerthis

Comment t'as découvert le rap ? Quel artiste t'a mis dedans ?


J’écoutais déjà du rap en primaire, sans réellement comprendre, avec les potes on chantait Booba, Sinik, Diams, La Fouine, IAM ... J’ai perdu ça en grandissant. Puis à mes 14 ans j'ai (re)découvert le rap avec Orelsan et Disiz, c’est eux qui m’ont ouvert la porte et petit à petit je suis tombé dedans.


Depuis combien de temps tu grattes ? Comment s'est fait le passage de l'écoute à l'écriture? Est-ce que tu as des rituels qui t'aident à écrire ?


J’écris depuis mes quatorze ans, ça fait déjà sept ans! C’est ma professeure de français/latin de collège qui m’a poussé à développer ça, au début je ne l’ai pas écoutée puis suite à un atelier d’écriture (sans thème) j’ai étalé mes pensées sur le papier, j'y ai pris goût et j'ai trouvé satisfaction. Je n’ai jamais lâché.


Je n’ai pas de rituel précis d’écriture. Rien n’est fixe, cela peut venir à n’importe quel moment, avec instrumental ou a capella. Des fois ça vient comme ça, une matinée, avec le café, je vais écrire un son en dix-quinze minutes. Des fois je passe mes nuits dans le noir à fumer et à écrire.


C'est plutôt l'instru qui appelle l'écriture ou l'écriture qui appelle l’instru ?


Une bonne instru appelle l’écriture. Cependant une bonne inspiration peut me conduire à écrire a capella, il est donc évident qu’une fois mon texte écrit je vais partir à la quête de l’instrumental qui va avec.


Ton nom de scène c’est Kerthis, comment trouve-t-on son blase ? Et qui c'est finalement Kerthis, toi, ton personnage, ton double, ta voix ?


Trouver son blase je pense que c’est une quête unique pour chaque artiste. Je suis passé par de nombreux blases avant de m’arrêter sur celui-là. Kerthis c’est mon idéal. Mais un idéal accessible puisque celui-ci est bourré de défauts, il est en moi, il m’aide au quotidien et j’aspire à me rapprocher un peu plus de lui chaque jour.


Ton album est titré La Messe du Hurleur et le Hurleur c'est un mutant Marvel, son super-pouvoir réside dans ses cordes vocales puisque son cru lui permet de voler ou d'hypnotiser ses ennemis, est-ce que tu penses que le rap est une arme qui aide à s'élever, à lutter ?


Une arme pour s’élever sans nul doute, pour lutter aussi, que ce soit un combat intérieur (cf le djihad de Medine et de Disiz) ou même la lutte du rap conscient. Pour ma part c’est certainement un combat intérieur puisque le rap m’a réellement aidé à me construire, à m’accrocher lorsque les secousses de la tempête étaient trop violentes, à en savoir plus sur moi et à me dépasser.


"Le rap est une passion un poison un poisson un hameçon une rançon un cancer des emmerdes des embrouilles du stress et du doute."

Dans "Décalage horaire", une track complètement folle, tu donnes cette définition atypique du rap, touchante, hébétée, pleine de contradictions. On a l'impression que le rap va t'aider à te trouver/retrouver, c'est quoi pour toi l'écriture : une quête, un exutoire, ton Ithaque, une drogue ?


Éternel paradoxe, effectivement le rap va m’aider à me trouver autant qu’il va probablement me perdre. Ecrire est un exutoire, il y a beaucoup de textes que j’écris lorsque je souffre. C’est aussi un jeu, le jeu de la rime ou celui de caler telle expression, telle référence, telle idée et dans le contexte musical, celui de caler telle ambiance ou tel mood. La musique aussi c'est un exutoire, que c’est bon de chialer/crier sous autotune en rajoutant un ampli guitare qui sature! C’est profond.


Dans tes morceaux tu fais des références à la bible avec "Chardon Ardent", à la mythologie grecque mais aussi au Cluedo, à Harry Potter ou à Marvel – est-ce que tu te bats contre l'idée de culture légitime ?


Oui, ou peut-être pas directement, cette notion de culture légitime est bien réelle mais je pense qu’il faut prendre ce qu’il y a à prendre, prendre ce que l’on veut prendre et construire sa propre culture selon sa personne et ses passions. Je suis très attaché à la spiritualité, à l’Histoire, a la Mythologie, à la Pop Culture et plein d’autres choses.



Légitime ou pas, le rap est un travail d'écriture à part entière, proche de la poésie, entre musicalité, figures de styles, rimes. Est-ce qu'il t'arrive de te plonger dans un recueil de poésie comme tu écoutes un album de rap ?


PNL me fait un peu cet effet-là ! Entre onomatopées et phrases profondes, il m’arrive souvent de comprendre des phrases très longtemps après les avoir écoutées. Récemment j’ai compris la phrase de Nekfeu « J’avance sans maître Sadam Usain Bolt » alors qu’elle date de 2013 !


Peut-être qu'à la rédaction de NOcTurnE on est un peu guimauve et qu'on en pince pour les chansons d'amour, un sujet que tu assumes puisqu'il revient dans plusieurs tracks, notamment dans "Encore" et "Hélas" où tu n'hésites pas à exprimer tes sentiments et à assumer tes faiblesses, est-ce que c'est une volonté de montrer une autre image du rappeur, sensible et fragile ?


Ce n’est pas vraiment une volonté, il y en a déjà pas mal des rappeurs sensibles et fragiles, c’est un parti pris, dieu sait que je suis un grand émotif ! Je voulais surtout parler de cette histoire d’amour à sens unique, qui est ma première histoire d’amour, pour mon premier projet.


Dans ce morceau, le refrain interpelle puisque tu dis le mot clitoris et que c'est rare ! Pas que dans le rap mais aussi au quotidien, dans l'espace public. Aujourd'hui on assiste à une évolution, les langues se délient, les tabous tombent et du coup on a envie d'y voir de ta part un engagement féministe, on a raison ?


Je ne peux pas me revendiquer féministe, bien que oui vous pouvez certainement y voir un soutien total de ma part. J’adore l’idée de faire tomber les tabous, je pourrais en faire tomber plein en développant certaines aventures et expériences dans mes textes, mais ce sont des sujets à double tranchant que je préfère laisser dans mon jardin privé.


Plus simplement, si je dis dans ce morceau « J’aurais dû juste vouloir ton clitoris » c'est parce que j’étais amoureux de cette fille, je voulais son cœur, mais elle voulait juste s’amuser, on aurait pu s’amuser ensemble si j’avais juste voulu son clitoris, malheureusement je voulais plus et elle m’a graille.


De quoi souffre le rap d'après toi aujourd'hui ? Est-ce qu'il souffre d'ailleurs ?


Le rap reflète notre société, bien sûr qu’il souffre! Mais pas à tous les niveaux, il y a des choses magnifiques et des choses affreuses.


Le rap souffre d’un manque de considération comme œuvre d'art. Malheureusement, l’industrie met en avant les artistes qu’elle désire et fait primer l'image marketing des rappeurs sur leurs textes ou la musique.

Mais le digital nous enseigne l’indépendance puisque désormais (on le voit avec PNL) on peut, créer, communiquer, vendre, distribuer depuis sa chambre sans label, sans major, sans manager, sans personne.


Le rap a le droit d’être con, il a le droit d’être violent, il a le droit de n'être destiné qu’à bouger son boule à dix grammes sur une vieille piste de danse dans un club pourri mais je pense qu’il souffre également d’une hypocrisie et que beaucoup se travestissent pour plaire ou vendre.


David Lopez, auteur du roman Fief, amateur de rap, met en avant dans un article publié à Libé, la friction entre le rap d'avant et celui d'aujourd'hui, à savoir que le rap français a évolué dans sa forme en se détachant de son discours engagé et conscient. Il tend à envisager le rap comme une forme d'art à part entière, de quel œil vois-tu cette évolution du rap accompagnée d'une popularité croissante ?


Le rap n’invente rien, il reprend tout et c’est ce qui fait, je pense, son caractère infini. Le rap est techno, le rap est rock, le rap est reggae, le rap est dancehall, le rap est rap, le rap est variété, le rap est éléctro. Sa popularité croissante est liée à l’explosion du digital, d’Internet, des réseaux sociaux et de la diversité de la production qui fait qu'il y en a pour tous les goûts. Et bien qu’aujourd’hui il soit plus divertissant qu’engagé et conscient, on se rappelle néanmoins des œuvres d’El Matador ou d’Assassin.


D’un certain point de vue j’y vois même un renouveau de la forme du rap conscient dans Freeze Corleone quand il évoque des sujets très engagés, bien que complotistes, mais la réalité est là !


C'est quoi tes futurs projets ? Qu'est-ce que tu réponds à ceux qui te disent que ton art doit rester un passe-temps?


Ils ont peut-être raison. Ou peut-être pas. Même si je ne poursuis pas ma vie dans cet art, je le poursuivrai dans son industrie avec tout ce que j’ai appris, que ce soit dans la musique ou dans le divertissement et l’image en général. Je sais que c’est en faisant ça aujourd’hui que je trouverai ma place demain.


Sinon je travaille sur un second projet qui, je pense, sortira en 2019. J'ai aussi d’autres projets non-musicaux mais je garde ça secret pour l’instant.


Qu'est-ce qu'on fait écouter comme morceau de rap à notre père qui est plutôt Benjamin Biolay et Pauline Croze ?


On lui fait écouter "Petite Fille" de Booba, ou "Here", le featuring avec Christine and the Queens.

Mon père n’aime pas le rap mais si je lui mets "Onizuka" de PNL, il devient fou !




Alice

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