Can of clouds, c'est un tout jeune trio toulousain formé autour du pianiste et compositeur Guilhem Kaltenbach, qui a été rejoint par la violoncelliste Hannah Al-Kharusi et le violoniste Arnaud Bonnet pour nous offrir une musique onirique et sensible, toute en finesse.
En attendant de découvrir leur musique "en vrai", le 22 novembre, lors de leur prochain concert toulousain à la Passerelle Negreneys, j'ai rendez-vous avec Guilhem pour discuter autour d'une tasse au Bar du Matin, en ce vendredi frileux mais néanmoins ensoleillé. Il me précède de quelques instants dans le café, trouve une place idéale — petite table tranquille près de la baie vitrée : on profite du soleil sans souffrir du froid. Une fois la commande passée, on entre dans le vif du sujet.
Can of clouds, c'est tout nouveau ! Pour commencer, pourrais-tu nous raconter un peu l'histoire de ce groupe et de sa formation ?
Guilhem : La genèse de ce groupe... est-ce que tu as vu le film Call me by your name ?
Je ne l'ai pas vu, mais j'ai beaucoup écouté la B.O...
G. Ce film m'a beaucoup touché. Je l'ai vu avec un ami londonien, Russel, qui était alors en visite à Toulouse. Russel est violoncelliste amateur, et ça faisait très longtemps qu'il n'avait pas touché son instrument, alors j'ai eu envie de composer un morceau qu'on pourrait jouer ensemble avant son retour à Londres, pour le motiver à reprendre en main son instrument. Le soir même, encore dans l'émotion du film, j'ai composé un morceau qui s'appelle « Trois amis ». C'était la première fois que je composais pour violoncelle et violon, et ça a été le premier morceau du trio, mais je ne le savais pas encore.
J'ai appelé une amie du conservatoire qui m'a donné le numéro d'Arnaud. On ne se connaissait pas mais il s'est prêté au jeu, et on s'est finalement produits pour la « scène découverte » de la Candela : on a joué « Trois amis » avec Russel au violoncelle, Arnaud au violon et moi au piano.
Avec cette expérience, j'ai réalisé le plaisir de composer pour des cordes. C'était un peu un rêve : j'ai décidé de continuer à composer pour violon, violoncelle et piano, et de former un trio.
[Le serveur nous interrompt] … Un allongé ?
G. Oui ! C'est pour moi.
Et...
La verveine, oui, c'est pour moi. Merci !
G. Merci ! Du coup, j'ai commencé à composer tout un set, pendant sept, huit mois, qui est devenu le set actuel. C'était il y a un an maintenant. En cours de route, j'ai rappelé Arnaud pour lui faire écouter les morceaux, et lui ai demandé si ça l'intéressait de continuer, de faire partie de ce projet avec moi. Il a accepté. J'ai vu Hannah en concert à la Candela, peu de temps après. Je ne la connaissais pas du tout et je l'ai trouvée super, musicalement et humainement : on a tout de suite accroché, alors je lui ai directement parlé de mon projet, je lui ai fait écouter les compositions, et elle a accepté de faire partie du trio. Ça, c'était en mars dernier, on a commencé à répéter en avril, puis à faire nos premiers concerts en mai-juin, et depuis septembre, après la pause d'été, on recommence.
Ça a été assez rapide !
G. Ça a été rapide, oui. Il faut dire que les deux, ils viennent de la musique classique, donc tu leur présentes une partition et ils la jouent, ce qui nous a permis de rapidement jouer en public. Maintenant, on travaille pour trouver notre son : j'ai des idées assez précises sur ce que je cherche, on s'en rapproche petit à petit !
C'est souvent un casse-tête, pour les groupes qui ne rentrent pas facilement dans les cases, de trouver leur place dans le spectre des genres musicaux. Comment décrivez-vous votre musique ?
G. En fait, il y a un terme qui est assez précis pour décrire notre musique : c'est "néo-classique". C'est une musique qui est tonale, qui rentre dans la répétition, et qui accorde une grande importance au timbre des instruments. Ça englobe la musique minimaliste. Finalement, on rentre dans les deux cases, musique minimaliste et néo-classique, mais on s'est dit que néo-classique serait peut-être plus parlant pour le public : on a souvent tendance à associer la musique minimaliste à une musique contemporaine très élitiste, et pas très accessible. Nous, ce qu'on fait, c'est une musique au contraire très accessible, même pour ceux qui ne sont pas habitués à écouter de la musique classique. En fait, c'est à mi-chemin entre la musique classique et la musique populaire, dans le sens où ça se rapproche aussi de la musique de film, à laquelle l'oreille des gens est déjà habituée.
Justement, ça rejoint une des questions que je voulais te poser : je voulais t'interroger sur ton rapport — et sur votre rapport — avec la musique classique, à laquelle on associe souvent la formation piano-violon-violoncelle. Tes collègues, Hannah et Arnaud , sont tous les deux issus de formations classiques, alors que de ton côté j'ai cru comprendre que tu as une approche plus "autodidacte" de la musique…
G. Oui mais plutôt classique aussi. Je me suis formé dans le classique, et dans ma famille il y a une longue lignée de musiciens classiques, depuis plusieurs générations. J'ai baigné dedans depuis l'enfance. Depuis, j'ai fait du jazz — j'ai eu un quartet jazz électro — que j'ai décidé d'arrêter parce que j'ai eu envie de retourner vers cette essence, cette simplicité, ce son "transparent" du classique… J'avais envie d'essentialiser et de simplifier les choses, et dans ma musique et dans ma vie, c'était donc assez cohérent de faire ce choix.
D'accord. Ce qui ne vous empêche pas, si j'ai bien compris, d'être aussi tous les trois dans des projets de musiques actuelles ? J'ai déjà vu Hannah dans le trio Résonance par exemple...
G. Tout à fait. Et Arnaud, c'est un musicien classique mais il a aussi un groupe de tango (Tango Volta), et un groupe d'improvisation, il adore jouer avec des musiciens issus d'autres univers… Hannah, pareil : elle adore improviser, elle est toujours en recherche avec son instrument. C'est deux musiciens qui sont extrêmement à l'écoute de mon univers, et qui du coup peuvent se l'approprier et l'enrichir du leur. Quand on arrive à cet équilibre-là avec les gens avec qui on travaille, c'est vraiment génial.
Guilhem, tu es pianiste au sein du trio, mais aussi compositeur. Il n'y a pas encore beaucoup de morceaux en ligne, mais on peut déjà commencer à entendre une "patte" commune, avec des mélodies très sensibles jouées aux cordes, assez lyriques, soutenues par un piano qui tourne autour d'un motif, et qui donne sa couleur au morceau. Quelles sont tes influences quand tu composes pour Can of clouds ?
G. Principalement les minimalistes américains : Steve Reich qui a ouvert la voie, et toute la vague qui a suivi : John Adams que j'adore, Arvo Pärt même s'il n'est pas du tout américain et qu'il ne se revendique pas de la musique minimaliste, et le plus connu de tous dont j'oublie toujours le nom...
Philip Glass ?
G. Merci ! J'ai beaucoup écouté des choses de cette période. Un peu de John Cage, quand il n'est pas trop barré, Max Richter aussi qui fait de très belles choses. Et plus récemment, il y a Ólafur Arnalds, et Nils Frahm qui est un pianiste qui fait un piano solo électro. J'ai aussi un projet solo comme ça, qui s'appelle Taïsen, donc je m'en influence beaucoup aussi. Tiens ! Arnaud, le violoniste est là ! …
[Arnaud, aperçu par la vitre, entre et nous rejoint]
G. Je ne pensais pas te voir apparaître !
Arnaud. Et finalement...
Bonne surprise ! Alors on a déjà parlé de la formation du groupe, des influences… peut-être que tu pourrais nous raconter un peu ton parcours ?
A. Mon parcours est essentiellement classique : j'ai fait mes études de violon au conservatoire de Toulouse, depuis l'adolescence, et j'ai ensuite beaucoup travaillé en orchestre symphonique et en orchestre de chambre, jusqu'à très récemment. Depuis plusieurs années, j'ai la volonté de m'ouvrir à d'autres styles musicaux, de ne pas rester dans le domaine classique — qui est très large, mais qui reste « codifié » d'une manière assez stricte — d'aller vers les musiques improvisées, vers le rock, vers la variété, la chanson, le tango, qui sont des domaines que j'ai un peu explorés au fur et à mesure et qui m'ont donné plus de liberté, notamment dans les rencontres…
Et la rencontre avec Guilhem, ça s'est fait plutôt par hasard, et ça tombait très bien parce que j'avais justement envie de mettre un peu de côté ma pratique orchestrale et de jouer en petits groupes, trio, quatuor, quartet, et d'être davantage sur le terrain que dans des salles où la différence entre les musiciens et le public est très marquée. Là, je trouve que dans ce qu'on fait, il y a une proximité idéale avec le public qui nous permet de toucher les gens de manière très directe. Et la musique qu'écrit Guilhem est magnifique, c'est un plaisir de la jouer. Au fur et à mesure on trouve des choses, on se connaît mieux, on s'imprègne des influences des uns et des autres…
Et au niveau du processus de création, il y a des échanges entre vous ?
G. Jusqu'à présent, la base du projet est très écrite. C'est plus, je pense, dans l'interprétation qu'on va vraiment travailler ensemble et se nourrir mutuellement. Hannah et Arnaud apportent énormément de choses à ce niveau-là, sur leurs instruments que moi je ne connais pas, et enrichissent beaucoup ma proposition initiale.
Ce que je demande, et ce que je me dis à moi-même en premier lieu, c'est de toujours s'effacer en tant que musicien, pour laisser vivre la musique toute seule.
On essaie de se mettre à distance pour laisser le son seul produire l'émotion chez l'auditeur, une émotion qu'il pourra du coup s'approprier.
A. En fait il y a plusieurs choses : l'idée que Guilhem a dans sa tête de la musique comme elle est venue à lui, l'idée écrite, retranscrite sur le papier, puis la concrétisation. Et la concrétisation, elle est obligatoire, parce qu'une musique ne peut pas être belle dans l'absolu, elle sera forcément dans une réalité qui sera celle d'un enregistrement, d'un concert, d'une interprétation. Notre parti pris est effectivement de s'effacer, de laisser passer la musique en nous pour la transmettre le plus simplement possible.
G. Tu avais dit un mot, un jour, c'est « sobriété ».
A. Oui. Mais ça ne veut pas dire qu'on recherche l'absence de sentiments, ou d'affect, c'est juste un affect qui laisse de la place à celui qui écoute.
Est-ce que vous écoutez en ce moment un artiste que vous aimeriez nous partager ?
A. Ce qu'on écoute en commun en ce moment c'est Nils Frahm, mais Guilhem en a déjà sûrement parlé. Je t'invite à découvrir l'album All Melody notamment. Je pense aussi à des choses un peu différentes : Agnes Obel, les projets de Thom Yorke en solo qui sont un peu plus touffus, mais qui ont toujours quelque chose au niveau du son, une immersion mais aussi une distance.
G. Une immersion et une distance, c'est exactement ça.
Vous avez fait vos premiers concerts cette année, dans la région. Comment ressentez-vous l'accueil fait à votre musique ?
G. Je sens que cette musique parle vraiment aux gens. Et à un large public : des gens se laissent surprendre, ils viennent parfois un peu par hasard et se laissent happer. Je pense qu'il y a vraiment une place pour ce genre de musique, actuellement. En tout cas, dans ma vie, j'ai cette recherche de simplicité et de retour à l'essentiel, et je pense que cette musique permet de faire une pause et de se connecter avec ce qu'on a à l'intérieur. Ça me fait beaucoup de bien de la jouer, parce qu'elle ne nous invite pas à des démonstrations de virtuosité, elle nous propose plutôt de lâcher tout ça : quand je la joue, je n'ai rien à me prouver, en temps que musicien, ni au public. On essaie juste d'être là, pleinement, et si on ne l'est pas, la musique ne fonctionne pas. Dans l'échange avec le public, je pense que ça se ressent et que ça fait du bien à tout le monde, nous inclus.
Le monde s'accélère énormément, je pense que c'est nécessaire de créer des œuvres qui décélèrent, qui ouvrent des espaces où on se retrouve avec soi-même, dans un état contemplatif, introspectif et en même temps ouvert.
Moi en tout cas, ça me fait du bien, et c'est mon point de départ pour partager ma musique avec les autres.
Et du côté des programmateurs ?
G. Les vidéos ont été vraiment bien accueillies, c'est grâce à elles qu'on a trouvé toutes nos dates pour l'instant. Mais pour répondre plus précisément, c'est quand même difficile. Il y a un déséquilibre énorme entre l'offre et la demande, entre les gens qui cherchent à jouer et ceux qui reçoivent, à Toulouse et ailleurs. Il faut être extrêmement assidu, ne rien lâcher, et éventuellement trouver des professionnels pour accompagner le projet. On est un peu à cet endroit-là avec Can of clouds : j'aurais besoin de ce soutien professionnel, parce que le démarchage prend énormément de temps et d'énergie.
C'est le moment de la question bonus : est-ce que vous avez un morceau de votre répertoire que vous pourriez qualifier de « Nocturne » ? Est-ce que tu pourrais m'en parler ?
G. Et bien oui ! On a un morceau qui s'appelle justement Nocturne ! (rires) Et le trio a failli s'appeler Nocturne.
Il fallait qu'on vous interviewe un jour ! On pourra l'entendre le 22 novembre à la Passerelle Negreneys ?
G. Oui, si vous venez, on vous fera une spéciale dédicace ! (rires)
On sera là ! Pour finir, qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter de beau pour la suite du projet ?
A. Alors, deux choses, je pense : que le bonheur de jouer ensemble reste intact, et de faire un bel enregistrement.
Un projet d'album ?
G. Oui ! Ou peut-être d'E.P, on va voir. En tout cas, c'est prévu pour début 2020 !
Super ! On suivra ça avec plaisir. Merci beaucoup d'avoir répondu à mes questions, on se retrouve bientôt pour votre concert à la Passerelle Negreneys, le 22 novembre !
Pour retrouver Can of clouds :
A.
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