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ENTRETIEN - Cantates sans filet

Dernière mise à jour : 27 sept. 2019

Interview d'un homme à l'initiative du projet des Cantates sans filet : projet fou qui ouvre généreusement les portes de la musique baroque, dans un cadre convivial, accessible au plus néophyte des néophytes en matière de Classique. Une immersion dans l'imaginaire de Bach par le chef d'orchestre de l'ensemble baroque de Toulouse, le passionné - Michel Brun.



Merci de m’accueillir chez vous et de répondre à mes questions dans le cadre d’un article sur la saison 2019/2020 des Cantates sans filet dont vous êtes le chef d’orchestre – et bien plus ! mais nous y reviendrons plus tard. Vous êtes également flutiste et dispensez des cours sur la musique de chambre baroque au Conservatoire de Toulouse ; dites-moi si je me trompe ?


Alors oui et non, vous ne vous trompez pas parce que je l’ai fait mais je suis en retraite du Conservatoire ; depuis un an je n’enseigne plus cette discipline que j’adorais !


NOcTurnE étant une revue musicale généraliste, il se peut qu’une majorité des lecteur.rice.s soit, comme moi, néophytes en matière de musique baroque – une des branches de la musique classique.

On range chaotiquement derrière le mot baroque, du faste, du bizarre, de la tension… Quelle est votre définition de la musique classique baroque ?


C’est une bonne question, parce que le mot Baroque est très ambigu ! Déjà il faut savoir qu’il n’a pas été choisi par les musicien.ne.s de l’époque ; ils et elles ne se sont pas dit "musicien.ne.s baroques", c’est une appellation qu’on leur a collé pour que ce soit pratique de se repérer dans les périodes historiques de la musique.

On dira en gros qu’il y a la musique du Moyen-âge, la musique de la Renaissance, la musique Baroque, la musique Classique – au sens historique du terme (Mozart, etc…) – et après, la musique Romantique. Donc voilà, on a mis des noms mais ça vient plus tard.


La deuxième chose qui est embêtante avec le « côté baroque », c’est que ce n’est pas la même période en ce qui concerne la musique et l’architecture ; curieusement. On pourrait dire que l’architecture baroque correspondrait à peu près à la musique de la Renaissance, et la musique Baroque vient plus tard. Voyez, ça ne veut pas dire grand-chose !


Et le dernier élément c’est que Baroque ça vient de baroco, qui est une perle d’huître de forme irrégulière. Donc il y a, dans l’idée de Baroque, quelque chose de l’ordre de l’irrégulier ; du "pas normal". Alors, est-ce que la musique baroque est particulièrement "pas normale"… je ne sais pas ! Je n’ai pas le sentiment que ça colle très bien !

Finalement, il n’y a pas de raison particulière profonde à cette appellation.


Comment tombe-t-on en amour avec le Classique ? Comment s’est faite, pour vous, la rencontre avec la musique classique – fut elle immédiate et immédiatement évidente ou chaotique et progressive ?

Plus prosaïquement, quel a été votre parcours avant de devenir chef d’orchestre et enseignant en musicologie ?


Je pense qu’il y a plusieurs parcours possibles différents. Il y a le parcours habituel en musique classique, de l’ordre d’une famille musicienne dans laquelle on met l’enfant tôt à un instrument puisqu’il y a cette pensée très souvent répandue qu’il faut commencer très tôt la pratique des instruments classiques, parce que c’est très exigeant techniquement et donc il faut commencer tôt… ça, c’est le parcours, disons – normal ; habituel.


Moi j’ai un parcours complétement différent de celui-là et ça explique aussi du coup que j’ai voulu créer des événements différents. J’ai commencé la musique relativement tardivement, à un âge où à l’heure actuelle ça me serait impossible ; probablement parce qu’on ne m’accepterait plus dans un conservatoire – j’ai commencé la musique à quatorze ans, dans une famille qui n’était pas spécialement… musicale ! Mais mon père était mélomane. Il adorait la musique classique, il en écoutait beaucoup et je pense que ça n’a pas compté pour rien… il jouait du piano très mal, mais moi j’étais très admiratif quand j’étais enfant. C’était un pianiste amateur mais j’avais l’impression qu’il jouait magnifiquement bien !

Je me suis aperçu après, en grandissant, qu’il avait un niveau médiocre au piano ; mais je l’admirais beaucoup quand il jouait.

J’ai découvert la musique à quatorze ans et ça a été immédiatement une illumination absolue ! c’est quelque chose qui a… oui, je le dis comme ça – illuminé ma vie ! Dès que j’ai commencé !

Une illumination d’abord avec la flûte, via deux aspects – l’aspect, je dirais, purement musical – celui de faire de la musique – mais aussi un aspect presque physique, de produire un son. Il y a dans les instruments à vent – probablement dans tous les instruments mais c’est peut-être plus sensible dans l’instrument à vent ; dans le chant aussi – il y a une nécessité que le physique soit disponible ; pour bien respirer, pour bien souffler, etc… il y avait donc aussi un plaisir physique qui accompagnait le plaisir musical ; les deux ont été immédiatement très intenses.


En 2007, l’ensemble baroque de Toulouse se lance dans un pari fou : interpréter les quelques deux-cents cantates de Jean-Sébastien Bach, à raison d’une par mois ! Nous sommes en 2019, cela fait déjà donc douze ans – comment est né ce projet ? Étiez-vous à son initiative en 2007 ? Et pourquoi Bach ?


Comment est né ce projet ? Je pense que la première chose c’est Bach ! Pour moi et pour nous (les musicien.ne.s avec qui on a formé cet ensemble, d’abord et avant tout sur un plan amical), l’ensemble baroque de Toulouse ne s’est pas créé par décision politique culturelle, c’est nous qui avons eu envie de former un ensemble – et donc, à nous toutes et tous qui avons formé cet ensemble, je crois qu’on s’est rapidement aperçu.e.s que le compositeur qu’on avait le plus de plaisir à jouer, c’était Bach ! C’est pas très étonnant, c’est un tel génie ! Et c’est un génie tellement universel, c’est-à-dire qui peut être apprécié par autant de personnes, que ça s’imposait presque de soi-même.


Après, les cantates, c’est un petit peu particulier… parce que les cantates ce sont des œuvres… comment on va dire… très particulières… Ce sont des œuvres qui ne sont jamais données en concert, ou très rarement données en concert. Tout simplement parce qu’elles n’ont pas été conçues par Bach pour être données en concert. Il les a conçues pour une liturgie, pour accompagner une liturgie, et donc elles ne revêtent pas la forme du concert avec un final brillant qui va remporter l’adhésion… ce ne sont pas des œuvres de concert ! Pour autant ce sont des chefs-d’œuvres absolus ! Il y en a deux-cents et, comme ce ne sont pas des œuvres de concert, elles ne sont pas très connues ; elles sont rarement données, en particulier en France – donc on a eu envie de les donner. Comme ce sont des chefs d’œuvres quasiment jamais joués… ça s’imposait aussi de soi-même.


Ce projet, en plus d’être fou, est original, inédit et pittoresque puisque la cantate n’est pas travaillée en amont par l’orchestre mais en direct, devant le public, petit à petit, individuellement et collectivement et sous la tutelle de vos explications historiques et votre analyse musicale et ce, pendant une heure trente, avant d’être restituée, dans son intégralité – d’où le nom : cantates sans filet, qui suggère l’idée de danger, de chute.


Finalement, ça sonne comme un défi très joueur – est ce que c’est une volonté de votre part d’associer une forme de légèreté non-académique à la musique classique ? De la « désinstitutionnaliser », en la rendant plus accessible au plus grand nombre ?


Complétement ! Absolument ! Mais je vais peut-être vous décevoir parce que je vais aussi vous dire autre chose qui est qu’à partir du moment où ce ne sont pas des œuvres de concert, on ne peut pas les jouer en concert ! Et si on présentait les cantates en concert avec, par exemple des répétitions en amont, et du coup une entrée payante, on n’aurait pas beaucoup de client.e.s ! Parce que ce n’est pas de la musique pure. Ce qui se passait à l’époque de Bach : on lui soumettait un texte, qui était le texte de la liturgie du dimanche, enfin, autour de la liturgie du dimanche – parce que ce n’était pas toujours des textes religieux, ça pouvait être aussi des textes écrits par un librettiste – et on lui disait : « Mon p’tit bonhomme, vous allez composer une cantate sur ce texte-là ! » (parce que ça reprend le calendrier liturgique).


Il y avait des Bach(s) – mais avec moins de génie – dans toutes les villes d’Allemagne et ils devaient alimenter l’église locale de mises en musique. Bach, lui, a composé trois-cents cantates; on en a perdu cent, heureusement pour nous ! Ça ne nous en fait que deux cents à jouer (rires) ! Mais il avait un compositeur ami et rival – une rivalité amicale – qui a composé trois-mille cantates (!), qui sont cependant beaucoup moins profondes, sophistiquées et complexes que celles de Bach… mais c’était le cas de beaucoup de compositeurs de l’époque – chacun dans leur ville, ils composaient pour le dimanche et après, c’était oublié, on rangeait les partitions, on en composait une nouvelle, etc… Donc ce n’est pas de la musique de concert du tout !


Et donc si on la donne en concert, ça ne passe pas bien et on n’a pas de public ! Par contre très rapidement je me suis dit qu’il devait y avoir quelque chose qui accompagne la cantate, qui soit une explication, qui fasse le rapport entre le texte et la musique. Et c’est ça qui est merveilleux dans cette musique-là, chez toutes et tous les compositrices et compositeurs de l’époque, il y avait cette nécessité de faire ce rapport entre les deux – comme une illustration, on pourrait dire.

Seulement, le truc, c’est que chez Bach, c’est juste complétement génial !

Parce qu’il avait un imaginaire extraordinaire et qu’il sort du cadre disons, un petit peu convenu de l’illustration musicale.

Il y avait quelques codes qui étaient donnés sur l’illustration musicale – on parle de la flagellation et les compositeurs et compositrices vont mettre un rythme saccadé : Pam papam papam papam papam ! et immédiatement chez l’auditeur – ah oui ! C’est même pas la peine de comprendre l’allemand, on sait que ça parle de flagellation ! Et le truc c’est que Bach il avait le même souci, sauf qu’il avait un imaginaire énorme ! Donc chez lui ça foisonne, c’est riche, c’est presque de la poésie – comme une image en poésie ! Voilà, c’est né de ça.


Après, c’est vrai aussi que – j’en ai parlé tout à l’heure – comme j’ai découvert la musique d’une manière particulière, quelque part je n’ai jamais réussi à me dire que c’était naturel de faire de la musique ; ou qu’il fallait s’adresser qu’à des gens qui connaissent la musique… Un peu une manière de rendre ce qui m’avait été donné en essayant de la faire découvrir à des gens qui, a priori, ne l’auraient pas découverte !

Ce qui explique que j’ai eu envie de le faire avec un projet ouvert, dans lequel les personnes qui ne sont pas du tout connaisseuses – en musique classique en général et en musique baroque en particulier – ne se sentent pas exclues.

On n’a pas les codes mais c’est pas grave ; on est là pour passer un moment de partage ensemble.

Ces cantates mensuelles se déroulent les dimanches, en fin de journée, dans la petite église de Saint Exupère sur les allées Jules Guesde – église baroque d’ailleurs ! L’église, historiquement, au XVIIème siècle, est-ce que c’est le lieu de prédilection de la musique de chambre baroque ?


D’abord, il y a toujours eu deux styles de musique – la musique religieuse et la musique profane. Bach a écrit les deux. La musique religieuse se pratiquait beaucoup sur commande. Bach a fini sa vie comme Kantor – c’était un titre – il était engagé et il devait fournir en cantates ce que lui demandaient ses supérieur.e.s. Il y avait traditionnellement la cantate du dimanche, pour la liturgie, donc à l’église, oui, mais il lui arrivait de devoir en composer deux ou trois autres dans la même semaine parce que mariage princier ou anniversaire de tel électeur haut placé, etc…

C’était l’aspect strictement « commandes » de sa musique. Sauf qu’à l’intérieur de ça, il pouvait aussi composer des œuvres religieuses plus personnelles ; par exemple, il a écrit à la fin de sa vie sa dernière œuvre qui s’appelle 'La Messe en Si', et il l’a écrite tellement à la fin de sa vie qu’il ne l’a jamais entendue, il est mort avant ! Mais cette œuvre, personne ne la lui avait demandée, c’était vraiment une composition personnelle. D‘ailleurs très mystérieuse parce que Bach était Luthérien et donc, quand je dis que c’était intégré au culte, c’était au culte luthérien, l’église réformée – or, la 'Messe en Si' reprend la forme de la messe catholique ! Donc il y a un petit mystère… il y a même des gens – les complotistes sont partout – qui ont émis l’hypothèse que, secrètement, il se serait converti au catholicisme à la fin de sa vie ; ce qui bien sûr est une connerie !


Donc après il y a l’autre partie qu’est la musique profane et là, en général, c’était quelque chose de plus libre ! Bien sûr il a eu, comme d’autres compositrices et compositeurs de l’époque, un rôle de directeur de la musique. Donc il devait aussi fournir en œuvres… mais c’est tout de même plus ouvert, il n’y a pas ce côté tous les dimanches : vlan, vlan, faire les cantates ! La musique religieuse, elle, était écoutée par tout le monde puisque tout le monde était croyant à l’époque, enfin – sincèrement ou pas, puisque c’était une obligation sociale, la religion étant très proche du pouvoir politique. Par contre la musique profane était plus réservée au petit cercle de l’aristocratie, à la cour.


Musique de chambre c’est encore autre chose ! C’était vraiment de la musique en petit nombre, qui se jouait dans la chambre et jusqu’à jouer dans la chambre du Roi, par exemple, à Versailles où Louis XIV effectuait le premier, le deuxième coucher, etc… et donc il y avait des musiciens qui accompagnaient le coucher du Roi et là, c’était vraiment dans la chambre. Maintenant, quand on dit musique de chambre on peut le faire dans une salle de mille personnes mais à la base, musica di camara, c’était ça, c’était dans la chambre, vraiment.


Par contre il y avait d’autres musiques profanes qui n’étaient pas de la musique de chambre, par exemple les Concertos, avec un effectif plus important, qui étaient joués dans une salle d’apparat d’un château ou quelque chose comme ça.


Puis Bach, il avait cette particularité qui me plaît beaucoup et qui prouve que c’était un homme très ouvert, avec un… je ne sais pas comment dire… il a essayé de m’imiter quoi (rires) ! Et donc le dimanche – certains jours mais surtout le dimanche matin, oui, avant le culte – il descendait son clavecin de chez lui, il allait au café et il jouait de la musique au café ! Il y avait un café qui s’appelait le café Zimmermann – donc c’était pas Le Taquin ou Ô Bout du Pont, comme nous – et là, il faisait de la musique avec sa famille, ses enfants, ses amis… Donc on a rien inventé en réalité ! Quand je dis qu’il nous a imité, bien sûr c’est faux, c’est nous qui ne faisons rien que l’imiter.


J’insiste sur le caractère convivial des rencontres des Cantates sans filet, puisque vous dialoguez véritablement avec le public qui est également encouragé à participer au chant de la restitution finale, grâce à une partition distribuée de ladite cantate, et disponible en amont sur le site de l’ensemble baroque de Toulouse. Vous proposez aussi de partager un pot de l’amitié sur le parvis de l’église à la fin de la restitution, thématique et gourmand.


Avez-vous le sentiment, Michel Brun, d’avoir fidélisé un public depuis douze ans que vous orchestrez ces cantates ? À qui souhaitiez-vous vous adresser initialement avec ce projet ? Est-ce que vous l’entendez comme une initiative parallèle à celle du festival « Passe ton Bach d’abord », qui vise à faire le lien entre la jeunesse et la musique classique ?


D’abord, on a créé Cantates sans filet avant le festival Passe ton Bach, un tout petit peu avant.

Sinon c’est vachement intéressant puisqu’il n’y a pas longtemps, j’ai retrouvé par hasard un DVD d’un reportage de la cellule communication de la ville sur les cantates – il y a des plans sur le public et je reconnais quelques personnes ! Moi j’ai le sentiment qu’il y a une part de fidèles absolument incroyable ! Il y avait aussi beaucoup de personnes que je ne reconnaissais pas, c’est-à-dire de personnes qui ont changé entre temps. C’est pour ça que pour moi c’est très important de continuer de parler des cantates ; parce que je ne voudrais pas qu’il y ait un public captif !Ce que je trouve merveilleux c’est de voir des nouvelles personnes ; et ce que je trouve merveilleux dans les cantates c’est qu’il y a beaucoup de jeunes !


Alors il y a un aspect particulier aux cantates, c’est qu’on répète pendant une heure et demie et après on fait – et j’aime bien le mot que vous utilisez, puisque sur l’affiche c’est marqué en gros : « Ceci n’est pas un concert, à la fin on ne fait pas un concert ! », j’aime bien le mot que vous utilisez, vous utilisez – restitution. Ce n’est pas un concert ; d’abord nous, on n’est pas en tenue de concert, le public ne s’est pas mis en habits du dimanche, il n'a pas payé sa place et nous on n’est pas payé.e.s, voilà ! On fait de la musique de manière généreuse – je n’ai loupé aucune cantate depuis le début du projet mais il y a des musicien.ne.s de l’ensemble qui n’en ont pas raté une seule non plus ! Donc c’est vraiment un don, un plaisir de jouer cette musique et puis un plaisir de partager avec le public. De voir ce DVD – qui doit dater de sept-huit ans – m’a montré qu’il y avait un renouvellement du public.

Mais moi ce que j’adore c’est de voir des jeunes, de voir des familles qui viennent avec des enfants, et ce qui est bien dans les cantates c’est qu’on peut rester – toute la répétition et toute la restitution – ou bien partir quand on veut...

On ne sent pas prisonnier comme lors d’un concert, quand on s’ennuie ou si on est avec un enfant qui commence à trop gigoter, devenir bruyant et qu’on ose pas partir parce qu’on est dans le noir et qu’on a payé sa place…


Un format qui met aussi à mal cette idée d’élite dans la musique classique…


Oui, tout à fait ! Je déteste ça, cette idée d’élite ! Mais à tel point que chez moi c’est autre chose, c’est… une douleur ; de ne pas pouvoir partager ça… Cette musique me bouleverse tellement que je ne comprends pas comment des personnes peuvent passer à côté ! Je n’arrive pas à comprendre ça, et ce qui me frappe c’est que – et vous me l’avez dit tout à l’heure – vous êtes venue, vous n’y connaissiez rien et ça ne vous a pas fait peur… je ne peux pas dire à quel point ça vous a plu… il y a des personnes que ça bouleverse au point de pleurer, il y en a d’autres qui passent simplement un bon moment et puis toute les graduations entre les deux – mais ce qui est sûr, c’est que jamais personne ne m’a dit : « Oula, c’est nul ! » Et pourtant si on demande dans la rue : « Est-ce que vous écoutez des cantates de Bach chez vous ? », personne ne va dire oui… je ne comprends pas ! Et c’est pour ça que ce projet existe ; parce que moi je suis sûr que c’est une musique universelle et qu’on pourrait toutes et tous partager, vraiment, j’en suis sûr.


Une question plus intime – et peut-être maladroite ! Être spécialiste d’un courant musical daté de plusieurs siècles, est-ce que ça équivaut à être nostalgique d’une époque qu’on n’a pas connue ? Ou au contraire, est ce que la musique classique baroque vous semble parfois très actuelle, en résonnance avec notre société – sa frénésie, son chaos ?


Oui mais pas pour les raisons que vous dites ! Parce que non, je ne trouve pas du tout ça chaotique, en réalité c’est quand même une musique qui est globalement très construite. Je ne suis pas un spécialiste que de la musique baroque ; j’ai fait toute la musique classique et beaucoup pendant une période, ce qu’on appelle la musique contemporaine, c’est-à-dire la musique d’aujourd’hui, mais qui n’est pas la musique actuelle, qui est la musique classique d’aujourd’hui – c’est-à-dire la musique écoutée par 0,0001 % de la population, voilà, qui est une musique très souvent – d’ailleurs c’est pour ça que j’ai fini par m’en détacher – très intellectuelle, très conceptuelle et vraiment réservée à une élite qui là, a les codes. C’est des codes très complexes… et nouveaux ! Nouveaux pratiquement à chaque fois puisque chaque compositeur.rice invente son échelle sonore, ses références sonores. J’ai donc fait de la musique classique – sur le plan historique – de Mozart à Haydn ; la musique romantique j’ai adoré ! J’ai joué du piano pendant des années, la musique romantique j’adore ça ! Mais après, à moment donné, c’est effectivement cette musique-là qui m’a correspondu le plus.


Alors – est ce qu’elle est actuelle ? Oui, je pense ! Pour plusieurs raisons. D’abord parce que la musique baroque – même chez un compositeur extrêmement savant comme Bach – elle est basée sur de la musique populaire. Donc il y a quelque chose de l’ordre de l’universel ; même si personne ne connait plus, je sais pas, la Bourrée d’Auvergne – même les auvergnat.e.s actuel.e.s! Mais la musique populaire elle évoque immédiatement quelque chose en nous et en particulier parce que c’est de la musique de danse – toute la musique baroque vient de la musique de danse et Bach a foutu de la musique de danse dans ses cantates, ce qui d’ailleurs choquait à l’époque ! Il a eu des ennuis avec ses supérieur.e.s, qui lui disaient que dans une œuvre religieuse, il n’avait pas à mettre de la musique profane – et lui, il a continué toute sa vie, en disant « Mais si mais si » ! Donc la musique Baroque vient beaucoup de la musique populaire et de la musique de danse. Il y a un exemple absolument frappant : la danse considérée comme la plus noble à la cour de Versailles, de Louis XIV, c’est la pasacalle ; or c’est une vieille danse espagnole – « aller dans la rue » – qui était une danse de rue en Espagne. Quel est le trajet qu’a fait cette danse pour aller d’une pratique populaire en Espagne jusqu’à la cour la plus huppée et la plus chic de l’époque qu’était la cour du roi Louis XIV ? Je ne sais pas mais il y a cet ancrage !


Puis après, quand on entend des compositeurs comme Bach, mais je ne sais pas, l’actualité d’une humanité pareille, elle est universelle ! J’espère qu’on ne la perdra jamais !

C’est-à-dire que j’espère qu’au fil de l’évolution de la société et de l’évolution de nos rapports humains, nos rapports avec les machines, on ne perdra pas cette humanité qu’il y a dans cette musique !

Mais je ne pense pas, c’est une constante… beaucoup de personnes – et parfois des personnes qui ne s’y attendaient pas – sont immédiatement touchées, voire bouleversées par trois notes de musique de Bach !


Et en effet, là il y a une surprise pour moi, puisque Bach était d’un univers complétement différent du nôtre – une société complétement corsetée, etc… Bon, il viendrait dans la notre il en verrait probablement les défauts aussi ! – mais que cette humanité se transmette de cette manière aussi intacte, c’est pour moi un mystère… mais c’est vrai, c’est ça, c’est mon frangin quoi ! Enfin, c’est notre frangin !


Pour finir en beauté, si vous deviez recommander un « titre » aux néophytes de Nocturne et qui illustre la fin de l’été et l’appréhension des jours gris à venir, lequel ce serait ?


Si je vous dis le Banquet Céleste, ça vous dit quelque chose ou pas ? Pour moi ce n’est pas une formule, c’est juste de dire que… voilà, évidemment, ce que vous décrivez, ça va être la période qu’on aime le moins, il va commencer à pleuvoir, il va faire froid, on va rester enfermés chez soi… Profitons-en pour essayer de nous élever ! Spirituellement ; j’ai pas dit religieusement – je suis farouchement athée – mais spirituellement. Le Banquet Céleste, je trouve ça magnifique parce que ça associe des choses presque opposées mais en même temps on peut y trouver une communication : le plus terrien – banquet, l’idée de partage, de convivialité, on est réunis, on est nombreux.ses et peut-être on boit un peu trop… et le plus céleste, donc l’esprit, et on peut réunir les deux et c’est ce qu’on va essayer de faire en hiver.


Alice


PROCHAINES DATES :

29.09.19 / 24.11.19 : Eglise Saint Exupère, TOULOUSE

19.01.20 / 8.03.20 / 17.05.20 : Eglise Saint Exupère, TOULOUSE

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