Le 11 avril dernier, nous étions invités dans les locaux de Freddy Morezon, à Saint-Cyprien, pour un entretien spécial avec Claire Dabos et Marc Maffiolo. Le temps de deux cafés, on a pu échanger autour du collectif, du label et des nombreux projets qui animent Freddy Morezon. Attention, ça bouge !
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots en précisant votre rôle au sein du collectif Freddy Morezon ?
CLAIRE DABOS : Je travaille pour Freddy Morezon depuis quatorze ans en tant que coordinatrice entre le bureau, l'administration, le financement et le collectif de musiciens.
MARC MAFFIOLO : Je suis musicien et je vis à Toulouse depuis une quinzaine d'années. Je suis dans le collectif depuis cinq ans par le biais d'un groupe, No Noise No Reduction. J'y prends aussi part pour l'organisation d'événements.
Qui est à l'initiative de ce collectif d'artistes singulier ?
CLAIRE : Au tout départ, c'est une rencontre entre un des musiciens du collectif, Marc Démereau, et une personne qui aujourd'hui n’en fait plus partie. Ils se sont rencontrés pour mutualiser un petit volet de projets artistiques (avec par exemple celui de Marc Démereau, « La Friture Moderne ») basé sur le jazz et les musiques improvisées et un volet autour du conte. Petit à petit, on s'est rendus compte que développer autour de deux réseaux aussi différents que le conte et la musique d'impro, c'était compliqué, donc nous nous sommes centrés sur la musique.
Votre ligne artistique, dense, puise ses racines dans le croisement des esthétiques, des arts et des genres. Est-ce qu’elle était présente dès le départ ?
CLAIRE : Je pense qu'elle est impulsée par la pluralité des projets au sein du collectif. Il y a ce noyau de projets porté par Marc Démereau mais, au fur et à mesure, de plus en plus de musiciens ont intégré le collectif et font de nouvelles propositions. Ils ont tous des univers différents venant du jazz, du rock, de la pop, de la musique très improvisée. Nous sommes très attachés à cette diversité et n'aimerions pas être étiquetés dans un seul genre.
MARC : La plupart des groupes dans lesquels je me retrouve sont souvent liés à un ou des styles de musique. Pour beaucoup, c'est souvent l'instrumentation du groupe qui fait qu'on n’a pas besoin de faire grand-chose pour que ça sonne autrement ; c'est le cas avec No Noise No Reduction, qui est un trio de deux saxophones basse et un saxophone baryton. Au début, on jouait des reprises de groupes noise et ça nous plaisait de prendre ces morceaux-là, de les arranger. Il n'y avait pas, réellement, une volonté de "faire autrement" car, avec nos saxophones, même si on jouait à l'identique ce qu'eux jouaient avec les guitares et les basses, ça sonnerait complètement différemment. C'est ce qui nous amené à jouer nos propres morceaux par la suite.
Est-ce que c'est vous qui démarchez les nouveaux artistes ou c'est plutôt eux qui viennent vers vous ?
CLAIRE : C'est une absorption naturelle (rires), nous n'avons pas de protocole établi. Par exemple, Marc qui est arrivé pour No Noise No Reduction s'est rapidement investi dans des problématiques collectives. Par le biais d'un groupe, un musicien va émerger, se rapprocher et la mayonnaise va prendre ou pas avec le reste du collectif.
MARC : La question importante c'est : de quelle manière le groupe se construit, fabrique son identité ? Une fois que c'est fait, c'est plus simple de travailler avec un groupe qui a déjà fabriqué sa petite histoire et qui sait ce qu'il a envie de faire. Quand on a décidé d'écrire notre propre musique, on a eu un super soutien du collectif, ce qui nous a permis d'avoir un confort de répétition.
Un petit mot sur le label Mr Morezon qui s’est créé en 2006 ?
CLAIRE : Comme on maîtrise déjà tout le processus depuis l’amont à la phase de création, les productions, les recherches de financement, la diff’, la com’… petit à petit, on a vraiment eu envie de maîtriser jusqu’au bout. Au départ, il y avait un projet tous les ans/deux ans qui était enregistré. Et puis, là, ça s’accélère… donc il faut qu’on trouve d’autres solutions et d’autres modes de financements, mais c’est super parce que ça donne une richesse, et c’est quand même chouette de pouvoir défendre ce volet-là par nous même !
En plus de faire de la production & de la diffusion d’artistes, vous organisez aussi différentes actions culturelles : Masterclass, Musique en prison, Mamies guitares… L'idée de transmission est importante pour vous ?
CLAIRE : Nous y avons toujours pris énormément de plaisir et d'intérêt. Dépasser la frontière qu'il y a entre le groupe et le public, sortir de cet aspect éphémère pour construire des relations un peu plus poussées avec les gens qui nous accueillent… Ça nous a permis d'atteindre des publics avec lesquels on a eu des expériences assez folles, comme Les Mamies Guitares où on travaille avec des groupes de femmes seniors.
Ces femmes-là retrouvent, à soixante-dix ans, une féminité et nous disent « je suis vieille, mais j'ai encore le droit d'avoir des rêves, encore le droit d'être une femme. »
MARC : J'ai animé un atelier dans l'école "Music'halle" qui est un cours d'improvisation autour de l'écriture. Quand je suis arrivé à Toulouse c'était pour rentrer dans cette école en tant qu'étudiant. Je suis autodidacte et avant d'être musicien, mon métier c'était de réparer des saxophones. Grâce à ce métier j'ai rencontré d'autres musiciens avec lesquels j'ai commencé à jouer dans des groupes. Ce qui m'a plu dans l'enseignement reçu dans cette école c'est que tous les enseignants pratiquaient la scène ; j'y ai passé une année incroyable. Je suis devenu musicien à Toulouse et on a fait cette proposition avec Robin Fincker d'animer un atelier là-bas. C'était génial de pouvoir transmettre à son tour !
Et puis on a aussi organisé une balade l'année dernière. C'était dans le Comminges et ça durait trois heures ; trois heures où nous imaginions, au cœur de ce parcours, différents points de musique…
Ce sont les artistes qui lancent ces initiatives ?
CLAIRE : Souvent c'est à l'initiative des lieux qui accueillent les artistes en résidence ou ce sont parfois des musiciens, comme pour le projet des Mamies Guitares lancé par Mathieu dont la grand-mère était harpiste. Ce qui est bien avec l'idée des Masterclass c'est de reprendre l'idée des groupes de se réapproprier une musique pour casser les codes, car souvent les jeunes musiciens reprennent leurs idoles et cet outil d'improvisation permet de s'en libérer. La musique est de plus en plus normée et je pense que si l'on n’accompagne pas les jeunes musiciens à sortir de ça le plus tôt possible, après c'est foutu (rires) !
MARC : Souvent, on a tendance à nommer la musique improvisée comme on va nommer le rock, la pop ou le jazz mais la musique improvisée, elle se retrouve partout. J'ai grandi avec une phrase d'un pianiste qui m'a fait bien marrer : « Le jazz c'est ma famille, mais à dix-huit ans faut se barrer. »
Il faut faire attention au phénomène « idole » car dès l'instant où on décide de ne pas développer son propre chemin, un jour on finit par la détester, cette idole, parce qu'elle nous bouffe trop la vie… alors « Kill your Idols » mais avec amour !
Pouvez-vous nous parler justement de ce projet, Kill Your Idols, qui reprend le titre d'une chanson de Sonic Youth ?
MARC : C'est une proposition de groupe de Marc Démereau et Florian Nastorg qui ont eu envie de s'intéresser à cette musique. Comme on est animés par l'improvisation, c'est jouer une musique écrite, arrangée, tout en se questionnant sur comment on la déploie par la suite.
CLAIRE : Même s'il y a plusieurs esthétiques très différentes, c'est un point commun qui relie tous les musiciens de Freddy Morezon. Cette volonté de s'approprier une référence importante, une pépite de leur histoire personnelle de la musique pour complètement exploser grâce à ce langage d'improvisateurs.
Vous parliez de l’accueil, du public, quels retours pouvez-vous avoir lors de ces différents événements ?
MARC : J’me souviens d’une expérience que j’ai vécue, il y a pas mal d’années, et qui m’a énormément marqué. C’était dans un bar avec un groupe, on jouait deux parties. À la fin de la première, je tombe sur quelqu’un, un habitant du village, qui vient me voir et qui me dit : « Toi, ton truc, mais alors je comprends rien, j’sais pas ce que tu fais… ». La deuxième partie se finit et je revois cette personne qui était encore là. Je vais la voir et elle me redit : « Nan, mais vraiment je comprends rien ! ». Ça continue un bout de temps, jusqu’au moment où elle me dit : « Bah viens, on va boire un coup ! ».
On a discuté toute la soirée et le soir en me couchant je me suis dit que j’avais pas réalisé la notion de ce que représentait un concert… Le concert n’est qu’une partie d’un moment, en fait. Pour cette personne-là, le moment était super, elle est restée toute la soirée et on s’est vraiment très bien entendus, sauf qu’elle a passé la soirée à me dire que ce qu’elle a entendu, elle aimait pas du tout… mais c’était vachement bien !
Souvent ce qu’on fait est fait dans un contexte qui représente aussi plein d’autres choses. Alors c’est très rare, je crois, de se retrouver à jouer quelque chose où on n'est pas du tout accueilli, mais en tout cas, pour moi, la notion de concert (comme le Taquin, dimanche) c’est vraiment un ensemble quoi.
C’est vrai qu’on a assisté à une belle parenthèse musicale la dernière fois avec le duo Barillet et le duo Mike Ladd & Matthieu Sourisseau qui nous ont taquiné l’imagination ! Comment s’est mis en place ce partenariat entre le Taquin et Freddy Morezon ?
CLAIRE : Ça faisait longtemps qu’on allait régulièrement au Taquin pour des soirées, de manière plus classique, en semaine. Quand on s’est mis à repenser cette idée de collectif pour savoir ce qu’on pouvait faire, tous ensemble, les musiciens ont proposé cette idée… et comme le Taquin, ils nous suivent depuis longtemps, ils ont dit oui tout de suite. Ils sont même co-producteurs des soirées, donc c’est pas rien. Là, c’est la deuxième année et on repart pour une troisième !
On imagine qu’il y a des habitués qui viennent tous les premiers dimanches du mois !
CLAIRE : Oui, il y a le petit noyau de fidèles. Et puis, après, il y a des gens qui viennent parce qu’il y a tel musicien ; d’autres qui viennent pour découvrir un groupe, un projet, qui s’attachent au truc et puis qui reviennent…
MARC : Pour le coup, c’est vraiment la partie où, dans le collectif, on est très nombreux à être investis par l’événement (à fabriquer, à discuter ensemble, à s’envoyer des mails, à s’appeler, à décorer sommairement le Taquin…) C’est vraiment un événement super important pour nous !
Est-ce que vous avez d’autres projets en tête ou sur le feu ?
CLAIRE : Il y a Facteur Sauvage qui a un nouveau répertoire ; un solo de Nicolas Laforest qui est sorti le 16 avril… Ensuite, l’année prochaine, on va avoir un gros projet autour d’Aquaserge et puis aussi un projet de résidence de territoire, dans l’esprit de la ballade dont parlait Marc tout à l’heure, mais cette fois à l’échelle d’un territoire plus large, sur une période de six mois, donc ça je pense que si ça se fait, ça va être super. Sortir des lieux habituels de diffusion, ça nous plaît bien…
Inciter les gens à casser un peu les schémas en les emmenant ailleurs ?
MARC : Oui, et puis le lier à des contextes particuliers. Par exemple, la balade, on peut l’imaginer comme une balade durant laquelle il va se passer des propositions artistiques, mais il se peut très bien aussi qu’il y ait, pourquoi pas, une personne, dans son espace naturel, qui t’explique comment, avec à peu près tout, tu peux faire à manger… Ramener ça à des questions, des réalités concrètes. Enfin, il y a un milliard d’idées !
Quel est votre regard, aujourd’hui, sur la scène toulousaine ?
CLAIRE : C’est une ville qui est quand même dynamique par rapport à la production musicale, enfin je trouve… mais après, paradoxalement, à part le Taquin, c’est une ville qui mériterait un vrai club, une vraie salle dédiée au jazz (comme à Nantes ou à Tours) et à ces musiques un peu différentes…
MARC : Oui, c’est une ville qui, à une période, a été touchée par les fermetures, où tout devenait un peu fermé et comme on est quand même dans le sud, putaing con (sic), et que c’est une ville un peu militante… je me suis rendu compte que, moi, je l’avais pas vraiment sentie cette fermeture, parce que ça a ouvert en fait énormément de souterrains à ce moment-là. J’avais presque l’impression de jouer encore plus qu’avant.
Mais du coup c’est super, parce que ça joue de partout, pour la musique, c’est fou… et cette programmation souterraine, pour moi, elle est super importante. Si elle existe en souterrain, c’est pas non plus que par envie, mais il y a un moment où ce serait peut-être pas mal que ça se bouge de tous les côtés !
Nous, en tout cas, on sent que ça bouge beaucoup du côté de Freddy Morezon ! On sent que la notion de « collectif » est importante…
MARC : Oui, c’est rigolo, je me suis rendu compte lors de la dernière réunion qu’en fait il n’y a pas d’individus ici ; ça parle que de groupe… Il y a forcément des gens qui vont être moteurs, qui vont impulser davantage, mais sinon c’est vraiment une histoire de groupe et ça, c’est super.
Entretien réalisé par Agnès & Séraphin,
Et, n’oubliez pas, dimanche prochain : tous au « Freddy Taquine » pour le dernier concert de la saison !
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