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L'ENTRETIEN SPÉCIAL - Les Musicophages

Dernière mise à jour : 1 avr. 2019

Pour notre premier article thématique, on est allé à la rencontre de l'association toulousaine Les Musicophages lors de l'exposition Fanz!nes qui se déroulait dans les locaux du CROUS du 8 janvier au 28 février dernier.



Après avoir feuilleté quelques fanzines et graphzines, nous nous sommes essayés à la confection de notre propre revue fait main grâce à un atelier tout spécialement conçu pour le public afin qu'il expérimente sa propre créativité, car comme on dit chez Les Musicophages : "DO IT YOURSELF" (fais-le toi-même) !


Très curieux à l'idée d'en savoir plus à leur sujet, nous nous sommes rendus dans leur local pour les interroger à propos de leurs activités liées aux musiques actuelles et à l'émergence de jeunes artistes.



 

L'association existe depuis 1996. Qui a eu l'initiative de la créer et pourquoi ?


J'espère que vous avez toute la journée parce que c'est une longue histoire ! (rires)

À l'origine, il s'agit de Nicolas Bordes et de son frère qui étaient disquaires à Agen. Ils avaient un fond de disques et à l'époque, le prêt spécialisé dans la musique n'existait pas dans les bibliothèques. Avant que la médiathèque José Cabanis ne soit créée en 2004 et ne dispose à son tour d'un rayon consacré aux disques, Les Musicophages étaient la première médiathèque spécialisée dans la musique à Toulouse et l'envie est née de là.


Actuellement, combien de membres travaillent dans l'association ? Et jusqu'à combien d'adhérents avez-vous pu avoir ?


Nous avons pu avoir jusqu'à sept employés à temps plein ; aujourd'hui nous sommes deux et demi ETP (équivalent à temps plein) et le nombre d'adhérents a pu grimper jusqu'à 8000.

À la création de Cabanis, les financements publics ont été considérablement resserrés et, aujourd'hui, notre budget est de 60 000 € annuels dont un tiers seulement de financements publics. Le conseil d'administration des Musicophages a décidé que pour profiter de la médiathèque il n'y aurait plus d'emprunts, seulement des consultations (en raison de certains documents abîmés ou volés, ainsi que de la rareté de certaines archives). Cela aurait été trop compliqué de prolonger les emprunts.


Sur votre site internet, on peut lire que vous encouragez la prise d'autonomie de ceux qui vous consultent et notamment à travers le recours aux méthodes alternatives issues du Do It Yourself, en vous présentant comme un "guide vous accompagnant dans la longue randonnée que représente le chemin de la professionnalisation" pour les artistes. À quoi faites-vous référence lorsque vous mentionnez ça ?


La méthode DIY que nous employons, c'est tout d'abord de ne jamais rien faire à la place des autres. Si l'artiste doit trouver un éditeur, un tourneur, un label, c'est à lui de faire le boulot. Nous ne sommes pas une agence de placement.


C'est l'autonomie qui mène à l'indépendance et les artistes qui viennent nous consulter doivent comprendre cela s'ils veulent devenir des professionnels et non des dilettantes.

L'artiste doit acquérir des automatismes, le Do It Yourself pour lui c'est par exemple de trouver le professionnel adéquat et l'autonomie, c'est une force de l'acharnement, l'artiste doit apprendre à faire, refaire et défaire si cela ne va pas, afin que ça fonctionne. Lorsque les groupes prennent rendez-vous avec nous, ils nous apportent tout ce qu'ils ont fait jusqu'à présent en terme de communication, de disque et d'univers. Notre fonctionnement est empirique car il s'adapte au groupe qui vient nous voir, le minimum étant qu'il doit avoir un peu d'expérience et de matière à partager via ses disques.


Les musiciens ont en général entre 20 et 30 ans et ont sorti un album, fait des concerts dans des bars ou des petites salles. À partir de là, notre objectif c'est d'amorcer quelque chose qui se rapproche du milieu professionnel. Nous ne jugeons pas leur production artistique, nous jugeons la capacité de l'artiste à se mettre en question, à anticiper l'accueil du public et attendons de voir si cela peut aboutir à une validation professionnelle.


Outre l'accompagnement des artistes émergents, vos activités s'étendent aussi vers "un espace de réflexion et de proposition autour de la filière des musiques actuelles". En quoi est-ce que cela consiste ?


Nous intervenons dans les bibliothèques pour former le personnel à propos de genres musicaux autour desquels des expositions sont réalisées puis vendues. Il y a une expo sur les icônes des musiques actuelles qui valorise les artistes en question et renseigne le public sur ce qu'est le metal par exemple. Il y a une explication interactive avec la biographie et à partir de cela, parfois, la bibliothèque achète une formation sur le sujet pour le personnel.


Une autre exposition sur le hip-hop au féminin permet au public de comprendre la particularité de ce genre et nous tentons d'expliquer, de retracer la place des femmes qui sont souvent invisibles dans le rap. Ces différentes expositions nous permettent de valoriser un fonds qui est celui de l'histoire du hip-hop dans le Bronx par exemple et de présenter des livres sur New-York et la littérature pour l'étendre à un plus grand champ.


Pouvez-vous développer une problématique qui vous anime à l'ère du digital ?


Notre rôle dans l'association n'est pas de juger si la dématérialisation de la musique est bonne ou mauvaise mais, en effet, nous avons ouvert une cellule de réflexion sur le numérique et la libre circulation de l'information.


Beaucoup de gens ne savent pas, par exemple, que lorsque qu'ils écoutent de la musique sur leur ordinateur ils peuvent améliorer la spatialisation du son avec la fonction équalisation pour qu'il soit affiné.

Le passage du vinyle au CD était déjà une dématérialisation de la musique parce qu'avec le CD on passe au numérique. L'avancée technologique ne signe pas la mort du vinyle car il faut savoir que dès que le CD a été mis sur le marché, personne n'en voulait. La musique n'est pas un artisanat mais un commerce. Les Majors Companies ont investi sur le CD avec la complicité de la FNAC car ce sont eux qui possèdent les outils de fabrication et la prise en charge de la vente. La fabrication du vinyle était moins chère que le CD. Avant le CD, Virgin et Sony c'était 60 % des ventes contre 40 % pour les indépendants. Cela les exaspérait de ne pas gagner plus, Virgin a racheté les indépendants et du jour au lendemain ils ont arrêté de vendre des vinyles. C'est comme ça que les Majors Companies ont détenu 80 % du marché aux dépens des indépendants.


Le retour au vinyle depuis quelques années est un faux retour, il y a un code de téléchargement avec l'achat du disque et l'acheteur l'écoute surtout en numérique.


Avec la dématérialisation, la musique n'est plus consommée de la même manière qu'avant où les gens étaient habitués au format d'écoute de l'album. On n'avait pas accès à la musique de manière si libre.

Si les gens achetaient un vinyle qu'ils n'aimaient pas plus que ça, ils l'écoutaient et le réécoutaient quand même parce qu'ils l'avaient acheté et, parfois, au bout d'un certain temps et à force d'écoute, ils se mettaient à apprécier certains morceaux.


Aujourd'hui, la musique est consommée de manière immédiate, vous cliquez sur une vidéo Youtube et si une minute s'est écoulée et que ça ne vous plaît pas, et bien vous zappez. C'est une réalité. Ce qui est curieux, c'est qu'alors qu'il n'y a plus de support, les artistes continuent de penser la musique comme si les supports perduraient. Pourquoi faire des morceaux de trois minutes alors que l'écoute ne se limite pas à la diffusion radio ? Et pourquoi continuer d'enregistrer des albums de 50 minutes alors qu'avec le numérique on pourrait offrir à l'auditeur un album de 5 heures ? Les artistes ne prennent pas encore assez de libertés avec tout ce qui est possible aujourd'hui, on n'innove pas assez.


À bon entendeur donc, si certains artistes lisent cet entretien...



En 2017, vous avez créé votre propre webzine qui permet à un public plus large de connaître de nouveaux groupes. Qui en sont les rédacteurs ? Est-ce que cela a un impact sur l'association ?


Ce sont Les Musicophages qui l'écrivent en fonction des volontaires. Nous avons créé ce webzine avec le désir de valoriser une culture émergente, aborder les nouveautés en musique et en garder une trace. Aujourd'hui, il y a une tendance des esthétiques sombres, dures, presques industrielles.


Vous voulez parler du retour de la cold-wave ?


Non la cold-wave est un revival, c'est assez peu créatif et on parle d'un genre surtout présent en France et en Allemagne. Allez aux États-Unis, et vous verrez que la cold-wave est un genre quasi-absent. Je voulais parler du trash sur les images, d'un trash presque morbide avec Billie Eilish qui fait 80 millions de vues sur Youtube.


Pour en revenir au webzine, il n'est pas très actif depuis quelques mois mais il est beaucoup lu, les lectures ont pu être comptées au nombre de 110 par jour lors du lancement avec entre 80 et 100 partages sur les réseaux sociaux.


Nous envisageons le webzine comme une bibliothèque, dont les articles constituent une trace, une mémoire.

Il y a Omar qui travaille sur l'Amérique du Sud et réalise beaucoup d'interviews. Les territoires s'ouvrent en ce moment et il est très intéressant de voir la richesse que l'Amérique du Sud propose. François écrit sur la musique indé, il est aussi pigiste pour la revue Magic.

Suzon, une de nos anciennes stagiaires, qui écrit un mémoire sur les musiques actuelles, rédige des articles très courts que l'on pourrait assimiler à des brèves.


Le rôle d'un webzine est important pour nous car aujourd'hui nous ne savons plus différencier ce qui est bien de ce qui ne l'est pas, la presse musicale s'est volatilisée, la musique étant découverte à 65% sur Youtube. Il existe beaucoup de webzines mais peu sont influents et s'ils veulent avoir de la visibilité, ils doivent impérativement avoir une chaîne Youtube comme Pitchfork, un webzine américain qui fonctionne bien et qui a compris les enjeux d'un magazine aujourd'hui.


L'une de vos spécialités est d'organiser des expos pour un public très large dans les MJC et les bibliothèques. Nous avons été voir dernièrement celle au CROUS sur les fanzines et nous souhaitions parler de cette dernière. L'esthétique des fanzines s'appuie sur le collage et le fait-main, elle renvoie à la créativité autour du support papier développée chez les dadaïstes et s'est affirmée à la fin des années 70 durant le mouvement punk. Qu'auriez-vous envie de révéler sur les fanzines à ceux qui n'auraient qu'une vague idée de ce dont il s'agit ?


Sur Internet, l'information est noyée, les webzines ne sont pas lus. Le fanzine est aujourd'hui un moyen de faire connaître les choses, d'affirmer sa singularité et d'être lu : ça n'est pas le même confort. Cela permet de diffuser ses idées et de déployer des cultures alternatives. Si la musique est avant tout une industrie, le fanzine est, quant à lui, un artisanat.


Un très grand nombre de fanzines sont à disposition dans vos archives, il s'agit de la "fanzinothèque". Comment organisez-vous ce travail de collecte ?


Pendant longtemps, Les Musicophages ont été la plus grande "fanzinothèque" de France. Aujourd'hui, c'est celle de Poitiers, mais elle a élargi sa collection à d'autres domaines que la musique, or nous centrons notre collecte sur des fanzines autour de la culture alternative et ils sont essentiellement musicaux. En ce qui concerne le travail d'archives, les gens venaient parfois vendre leur fanzine ici pour se faire connaître auprès du public et le fonds de base s'est constitué petit à petit avec le temps.


Récemment, 640 fanzines ont été récupérés d'une bibliothèque, d'autres le sont en festival. Nous attachons aussi de l'importance aux graphzines qui sont des fanzines au contenu essentiellement visuel. Le fanzine a quelque chose du livre d'art ou livre-objet pour son côté foncièrement créatif. Il te permet de tracer une histoire, des articles sur des groupes et des artistes qui ne sont pas trouvables sur internet et c'est ce qui fait sa richesse.


Aujourd'hui, on a l'impression que la créativité des fanzines réservée au support papier a été minorée au profit d'Internet. Bien sûr il ne s'agit pas de comparer ces deux supports totalement différents, mais on peut commenter ce changement par le fait qu'au début de l'association, Les Musicophages avaient un fanzine mais aujourd'hui, vous tenez un webzine. Que dire à propos de ce constat ?


Tout d'abord le fanzine et le webzine ne peuvent être mis en opposition car les démarches de l'un et de l'autre sont totalement différentes. Les webzines ont une forme esthétique déjà fixée, or avec le fanzine vous avez l'embarras du choix, une liberté totale. Le fanzine offre la découverte d'une culture dans sa globalité, qu'elle soit rap, punk ou électro. C'est un objet créatif, ce que le webzine n'est pas. Par exemple tu as IF mag, un fanzine sur l'art contemporain par des graphistes et qui n'est pas trouvable sur Internet (nous avons eu le privilège d'en feuilleter quelques exemplaires et en effet, la forme ne manque pas d'inventivité...)


Quel est l'un de vos objectifs pour 2019?


L'un de nos objectifs est justement un travail appuyé autour de la diffusion des fanzines. Nous voulons valoriser les fonds de la "fanzinothèque", en réfléchissant à des moyens qui pourraient être plus ou moins alternatifs. Nous cherchons la forme appropriée pour qu'un plus grand public devienne familier des fanzines et puisse les apprécier.


Une dernière question, de "Bouche à Oreille" : dans le cadre de notre webzine qui promeut la culture musicale locale, si vous vouliez aiguiller le lecteur vers un lieu, label ou festival à Toulouse, que lui conseilleriez-vous ?


On s'ennuie à Toulouse et on trouve que ça ne bouge pas assez. Le conseil que l'on pourrait te donner c'est de prendre l'avion et d'aller à Berlin, c'est immensément varié. Toulouse pourrait en prendre de la graine...





Entretien réalisé par Agnès

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