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CONCERT - Lydia Lunch

Dernière mise à jour : 28 oct. 2019

Une Bacchanale Printanière de poésie, de musique et de films...


En ce début de saison, NOcTurnE est allé sillonner pour vous les confins de la Haute-Garonne. Dans un petit village au nom de Saint-Julia se trouve un mystérieux château : le Château H, dont les propriétaires depuis 2014, Helena Patricio et Sotho Houle, organisent une multitude de performances et de concerts dédiés aux arts alternatifs.


© Hélène Nugues, Château H, 06 avril 2019

16h30. Vous pénétrez dans l'antre du Château, chaleureusement accueilli par Sotho Houle. Alors que le soleil commence à poindre à l'extérieur, vous vous retrouvez dans une quasi-pénombre à l'intérieur. Toutes les fenêtres sont fermées afin de créer une atmosphère aux nuances tamisées. Vous vous laissez submerger par la singularité du château qui ne vous lâchera pas jusqu'à ce que vous en sortiez.


À l'intérieur, le décor digne d'un cabinet de curiosités ferait pâlir un personnage de Huysmans. Canapés et sièges en velours, mobiliers raffinés et tapisseries anciennes vous font croire que vous vous êtes téléportés dans une autre dimension, ou bien sur le tournage d'un film où aucun élément de mobilier n'aurait été laissé au hasard. Arpentant les pièces, munis d'un délectable verre de vin rouge, vous découvrez l'exposition de Saralisa Pegorier "Ceux qui s'invitent la nuit", dévoilant ses créatures tantôt érotiques, tantôt monstrueuses, quand elles ne constituent pas, la plupart du temps, un savoureux mélange des deux...


17H30. Les visiteurs remplissent le château et vous trépignez d'impatience. Ça n'est pas tous les jours que Lydia Lunch vient en France ! D'ailleurs, qui est-elle, cette tant attendue Lydia Lunch ? Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, il s'agit d'une prêtresse de la création, une chamane écorchée vive qui déverse depuis les années 70 toute sa colère dans ses chansons et ses livres. Revenant de très loin, elle a survécu à à peu près tout ce qu'une âme peut surmonter (ou pas) et il vous suffit de lire les premières pages de Paradoxia, journal d'une prédatrice ou Déséquilibres synthétiques, ses deux seuls livres traduits en français jusqu'à ce jour pour être complètement estomaqués.


Rien ne résiste à la verve de Lydia Lunch, qu'il s'agisse de la violence qui régit les relations humaines ou de la société américaine. Et comme si cela ne suffisait pas, elle a créé un genre musical qui s'appelle la NoWave, qui a pour règne la dissonance.


Son art est un rempart à la langue de bois, où seuls les coups et les martèlements de la vérité nue ont leur place.

Lydia Lunch arrive enfin et impose le silence de par son charisme. Petite brune au regard bleu électrique qui vous percute comme si c'était d'un cutter qu'elle balayait la salle, l'invitée d'honneur s'assied sur un ample fauteuil noir surélevé pour déclamer un spoken word enragé. Lydia Lunch, c'est une voix qu'il faut entendre, car dès lors qu'elle commence à parler, sa tessiture impose le respect. C'est un coffre, qui vous surprend par sa dualité. Il y a la voix rocailleuse, presque sortie d'outre-tombe qui se répercute dans la salle un peu plus en vibrant de la tonalité grave de sa poésie. Et il y a l'autre versant, un timbre plus sensuel et plus clair qui vous surprend lorsqu'elle déclame son texte pugnace.


© Hélène Nugues, Château H, 06 avril 2019

Dès lors qu'elle achève son discours, vous n'avez pas le temps de reprendre votre souffle. Deux performeurs envahissent la pièce et encore un peu plus, vous avez l'impression d'être des figurants de cinéma tant la vision qui s'offre à vous est hors du commun. Un homme masqué vêtu d'une perruque et d'un moulant costume blanc transporte un étrange mécanisme de bois surélevé par des roues où la talentueuse Helena Patricio, performeuse, contorsionniste et actrice (que vous avez peut-être pu voir se produire dans la ville rose lors du festival Fifigrot) enchaîne des figures avec prouesse pour déclamer un poème érotico-burlesque. La performance atteint son paroxysme, et vous sursautez, envahis d'une retombée de rubans pailletés. Les portes d'une pièce demeurée secrète se révèlent face à vous.


C'est l'heure de la projection du film Spit and Ashes réalisé par Maria Beatty, connue pour ses films érotiques lesbiens et BDSM, dont la touche plastique et poétique en noir et blanc tient ses influences de Buñuel et de Cocteau.


Le programme de son nouveau long-métrage est une relecture de l'histoire de la sorcellerie où les femmes ne seraient plus des victimes mais les maîtresses de rites mêlant nature et magie sexuelle afin de reprendre possession de leur corps et de leur plaisir.

21h30. C'est l'heure de la deuxième partie de l'événement. Dans la petite salle de concert plongée dans la pénombre, les lumières de la scène très vives, allant du rose au vert, vous saisissent d'un profond contraste. Et maintenant place à la poésie !


Le comédien Xavier Loira entre en scène pour lire quelques extraits de son autofiction "Pink is not a color, it's a way of life", confessions de l'auteur sous forme de journal intime relatant le quotidien de ses années d'étudiant entre la Suisse et Paris. Ses questionnements sur le désir et la recherche d'identité sont émaillés d'humour. C'est ensuite au tour de la prolixe poétesse Perrine Le Querrec de vous faire don d'images charnelles, guidant votre écoute vers la redécouverte d'un corps dont l'émotion se fait tourbe, liane, boue, où les sensations se jumellent à la nature sauvage.


La dernière partie de la soirée est dédiée à Alan Vega, le chanteur et fondateur du groupe avant-gardiste Suicide fondé dans les années 70 aux États-Unis. Le court-métrage The Infinite Mercy réalisé par Marc Hurtado révèle des bribes d'intimité d'un homme qui est aussi peintre et plasticien, en perpétuelle recherche d'un chef-d'œuvre à bâtir avec des objets du quotidien abandonnés par les citadins. Vous retournez devant la scène et votre cœur palpite : c'est maintenant l'heure du climax, l'heure du concert.


© Hélène Nugues, Château H, 06 avril 2019

Lydia Lunch et Marc Hurtado vont rendre hommage à leur ami Alan Vega en musique. Le concert sera court mais intense, bruitiste juste ce qu'il faut pour que vos oreilles tanguent et soient happées par les distorsions accrues de la musique. Lydia Lunch reprend quelques morceaux emblématiques de Suicide et incarne le texte de la manière la plus corporelle qui soit.


Lorsqu'elle fait référence à la tyrannie de l'argent, à la misère sexuelle et à la violence, elle n'hésite pas à pointer son poing en direction du public comme une arme. Ses cordes vocales grincent au fur et à mesure qu'elle appuie sur la détente. Vous vous sentez visés, c'est vous qu'elle fixe de son belliqueux regard bleu. Peu d'artistes ont une telle emprise sur le public. Marc Hurtado masqué sous des lunettes de soleil s'imprime derrière elle et ponctue chaque fin de morceau de grognements et d'une gestuelle chaotique peu amène. Au-dessus de lui, des images de The Infinite Mercy se superposent avec des images de peep-show. Vous avez intégré une autre dimension, un temple profane et déchaîné en l'honneur de Suicide.


Un bloc de silence vous secoue, la musique s'arrête. Il n'y aura pas de rappel.


Vous sortez du château et le contraste est saisissant. Il vous aura suffi de franchir un seuil pour vous propulser de l'agitation la plus trouble à la quiétude endormie d'un village ordinaire. Dans l'histoire de la culture alternative, c'est le village qui doit se river vers la ville pour se frayer jusqu'à la sous-culture. Grâce au Château H, les règles s'inversent, et le village est dynamité en son centre par une bâtisse étrange qui sait comment faire prendre feu à tous ses visiteurs chanceux.



Agnès

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